La carto en commun - Interview de Nicolas Berthelot

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De formation sociologue, Nicolas a travaillé auparavant dans une entreprise de Data intelligence puis chez transport.data (Beta Gouv). Il est aujourd’hui responsable de la Fabrique des Géocommuns à l’IGN (Institut national de l'information géographique et forestière), un incubateur qui accompagne depuis 2022 des intrapreneurs dans la construction de services publics numériques promouvant des communs géographiques. Il nous explique comment la Fabrique aide à transformer l'usage des données de l'IGN.

Qu’est-ce que la Fabrique des Géocommuns ?

C’est déjà l’incubateur de startups d’État de l’IGN (Institut national de l'information géographique et forestière). Il répond à un enjeu stratégique de changement des manières de faire à l’Institut. L’Institut a déjà connu deux révolutions :

L’open data et la gratuité d’accès aux données, qui provoque un changement de modèle économique mais aussi un changement de lien avec les utilisateurs. Avant nous avions des clients, par exemple des sociétés privées, qui achetaient nos produits. Le fait de passer en open data avec licence ouverte amène une disruption de cette relation. La Fabrique des Géocommuns doit être un outil d’action dynamique de lien avec les usagers des services qui sont produits par l’IGN.

Le deuxième chantier majeur est le fait qu’on n’est plus tout seul à être capables de produire des données géolocalisées. L’IGN a été pensé comme une grosse usine de production de données topographiques qui décrivent le territoire, qui ont été ensuite déclinées en cartes papier. Il faut imaginer que dans les années 90 les agents de l’IGN, ouvriers d’État, allaient sur le terrain pendant 3 mois pour numériser tous les éléments du territoire en mode “commando”, ils arrivaient à 100 et cartographiaient département par département.

Le fait que les collectivités et d’autres administrations soient aussi capables de cartographier leurs bâtiments et leurs routes a motivé l’évolution. L’IGN s’est rendu compte qu’il n’était plus possible de fonctionner en mode “on est une usine de production, il faut qu’on produise en commun des ressources”. On doit plutôt se dire : “on a produit des référentiels de données qui sont super, on est capables sans doute de s’interfacer avec plein de canaux pour constituer un commun, ce qui suppose aussi de ne plus être tout le temps parfaitement au centre”.

Ce n’est parfois pas évident ! Il y a plein de sujets sur lesquels on n’arrive pas encore à changer de paradigme.

Du coup la Fabrique avait pour but de proposer des manières différentes de faire, en illustration et en accompagnement. La Fabrique n’a pas pour vocation de prendre tous les trucs de l’IGN et les passer à la moulinette des communs et des startups d’Etat. C’est plutôt de lancer des chantiers qui vont être des illustrations de manière autres de développer des produits de données géolocalisées.

Est-ce que les projets incubés doivent nécessairement réutiliser les données de l’IGN ?

On ne se pose pas trop de contraintes. La méthode est l’approche Beta Gouv : centrée sur l’utilisateur final, motivée par la résolution d’un problème réel, majeur et actionnable, puis nous faisons appel à un intrapreneur qui sera accompagné d’une équipe constituée pour l’occasion.

Un agent de l’IGN peut candidater mais c’est aussi ouvert aux agents d’autres ministères qui veulent bosser sur des données géolocalisées. Par exemple, nous avons un agent du Cerema qui veut aider les EPCI à cartographier leurs zones d’activités en faisant une investigation à l’IGN pour voir comment on peut les aider. Potentiellement les sources de données ou les outils cartographiques qui seraient utilisés dans ce projet par le Cerema ne seraient pas forcément ceux de l’IGN.

L’enjeu est plutôt d’avoir la méthode Beta Gouv en point focal, être centré utilisateur et se concentrer sur les usagers de la ressource. On s’est dit que ce n’était pas idiot de prendre cette méthode pour faire des communs : “comment entretenir des ressources avec des règles qui fassent que tous les gens qui alimentent la ressource ne se sentent pas lésés ?”.

La stratégie c’est d’être centré sur les besoins, parce que de cette manière tu es capable de capter de la collaboration. Si les gens ont vraiment besoin de ton logiciel ou de ta base de données, à la fin ils sont en capacité de t’aider en partie sur le développement de la ressource auquel tu as contribué.

Par exemple, le produit emblématique c’est Panoramax : le “Street View” libre avec plus de 100 contributeurs tiers, collectivités et personnes physiques bénévoles qui déposent des photos sur des espaces de stockage pour photo-cartographier le territoire. C’est vraiment le cas typique où on essaie d’inciter les gens à contribuer. La proposition de valeur pour les contributeurs est “on floute tes photos, on les héberge, on te permet de les visualiser et prochainement on lui permettra d’extraire la position de certains éléments visibles comme des panneaux”. En contrepartie, les gens donnent au public leurs photos.

C’est vertueux car potentiellement sur un même espace plusieurs acteurs ont intérêt à mettre à jour ces bases de données. Se pose alors la question des bases de données routières. La cible principale de Panoramax est d’avoir une vision de où sont les panneaux de circulation, la signalisation verticale et horizontale, et potentiellement les détecter par l’intelligence artificielle, et les localiser dans l’espace.

Avez-vous vocation à couvrir tout le territoire avec un produit comme Panoramax ?

Ce qu’on essaie de développer avec les startups d’État c’est un service public qui a pour but de combler les trous que potentiellement le marché n’aurait pas tendance à combler. À Paris par exemple, les grandes plateformes privées passent déjà plus d’une fois par an pour mettre à jour leurs bases photographiques.

En revanche, dans les territoires ultra-marins des contributeurs s’emparent de Panoramax pour couvrir des territoires qui ne sont absolument pas photo-cartographiés. Dans l’offre de service de la startup d’État, il y a de l’accompagnement à la production des données. Si tu équipes par exemple tes camions-poubelle avec des caméras qui coûtent 500€ tu peux faire une première couverture qui va permettre de localiser tes adresses.

Capture d'écran du site de Panoramax © Panoramax

Capture d'écran du site de Panoramax © Panoramax

Est-ce que ces produits alimentent ensuite la base de données BDTopo ?

Pour l’instant cela se développe de manière parallèle. Pour Panoramax les photos sont géolocalisées par GPS mais ne sont pas corrigées avec les données de BDTopo. Les informations qu’on va pouvoir extraire des photos avec des outils vont permettre à terme d’alimenter le référentiel routier de l’IGN. Le but est d’avoir une couverture totale du territoire.

L’enjeu de l’IGN c’est que toutes les ressources qu'il développe (bases de données, BAN, BDTopo, BD Forêt,...) aient une garantie de qualité et puissent recevoir des contributions autres que celles d’agents IGN. Par exemple pour identifier une nouvelle route, une nouvelle école, ...

C’est le cas dans le Gard et dans l’Hérault avec les SDIS (pompiers NDT), où il y a des entités avec lesquelles on institue une relation de confiance. Nous avons créé des guichets spécifiques pour les retours et les contributions de nos partenaires, par exemple “ici il y a une information qui n’est pas correcte par rapport à l’adressage”. Le but est de simplifier au maximum l’expérience de contribution de nos partenaires.

C’est un grand chantier mené au travers de la Géoplateforme et avec son incarnation web cartes.gouv.fr, pour faciliter l’amélioration des référentiels par tous les usagers des produits de l’IGN. Ca dépasse largement la Fabrique, nous on s’interface par exemple en accompagnant la startup BAN qui développe la Base d’Adresse Nationale, qui a pour but de non seulement produire la BAN mais intégrer des retours par exemple de Here ou Tom Tom : ces gens font confiance à la base de données, il faut qu’ils puissent faire remonter les problèmes et à la fin on sera tous gagnants.

Comment fonctionnent ces retours de réutilisateurs ?

Cela dépend des interlocuteurs et des types de contribution.

Sur Panoramax par exemple, les gens qui veulent alimenter ont juste besoin de créer un compte. Pour d’autres référentiels comme la BD Topo, nous sommes dans une démarche de conventionnement. Nous avons des délégués régionaux qui sont capables de rapidement élaborer des procédures qui permettent de faire du partage. Pour la Base Adresse Nationale, avec des entreprises comme TomTom ou Here on est beaucoup plus dans des logiques d’expérimentation.

Comment se passe le déploiement et le passage à l’échelle des solutions expérimentées ?

Le bon exemple c’est la BAN. Tout le monde nous disait que ça allait être extrêmement simple. Tu as un fichier .csv, tu as 10 000 points par commune, on est sur un objet simple. En réalité même si une adresse est plus simple qu’une route, ça a quand même été un enfer à réaliser, mais l’équipe y est arrivé.

Elle a d’abord réalisé un POC (proof of concept, NDT) pour tester, en fournissant un outil aux communes qui leur permettait d’éditer, de manière simple mais normalisée, un référentiel d’adresses. L’outil permettait aussi de récupérer des données produites par d’autres moyens.

Le site adresse.data.gouv.fr - capture d'écran © Base Adresse Nationale

Le site adresse.data.gouv.fr © Base Adresse Nationale

Une fois créée la dynamique qui permet de faire remonter des données fiables sur l’adressage et un premier objectif de 20% du territoire atteint, il est possible de procéder par décret pour cadrer les choses. Au moment où le décret sort nous avions déjà 50% des communes couvertes et 70% de la population. La force de la loi permettra d’atteindre les 90%.

C’est un schéma qui est sans doute le bon, à suivre pour les startups d’État qui font de l’expérimentation. On répond bien aux problèmes du terrain, et à partir de là des gens peuvent témoigner en faveur de la solution développée, puis ensuite mettre une dimension plus contraignante pour à la fin atteindre les 100%. Ça c’est le bon procédé, mais il ne marche que quand tu as réussi à attirer une adhésion énorme d’abord.

Est-on capable de déterminer la date d’achèvement ?

Ce n’est pas évident, on se pose les mêmes questions (rires).

Prenons l’exemple du dernier arrivé Bat-ID (Référentiel National des Bâtiments), une des grosses startups de la Fabrique. Le principe est de faire l’équivalent de la BAN avec les bâtiments. Les bâtiments sont encore un peu plus compliqués que les adresses à intégrer dans un référentiel. Le cadastre a une définition qui n’est pas cohérente avec des réalités physiques, et ces définitions et représentations peuvent varier même au sein de l’État. Par exemple entre l'IGN et Bercy la représentation est différente : “nous on voit du ciel, eux ils voient du sol”. Au-delà de ça il y a encore d’autres acteurs comme les opérateurs de réseaux et télécoms qui vont parler en boîtiers, connexions, ...

Il y a eu un travail de 2 ans pour poser des définitions et donc les jalons d’une première base. Il existe désormais une base de données de 44 millions de bâtiments avec des identifiants. Mais en réalité cette base nécessitera des corrections venant du terrain pour être suffisamment complète et fiable. Notre tactique pour y arriver est d’attirer les acteurs qui ont le plus d’agilité dans ce rôle d’expérimentateur, pour leur donner une forme d’avance sur le marché. L’année dernière, l’équipe a beaucoup travaillé avec les ADS (Autorisation de droits du sol) et les diagnostics DPE pour enclencher de premiers canaux de mises à jours de la base de données. En 2026 tu auras des dizaines de bases de données de l’État qui seront connectées au Référentiel National du Bâtiment.

En quoi DiaLog pourrait être utile à la démarche des géo-communs ?

Quand je suis arrivé à la Fabrique on m’a dit : “tu as 3 chantiers" :

  • le Commun des Vues Immersives qu’OSM aimerait voir émerger
  • L'identifiant Unique des Bâtiments
  • La Base de Données Routières Nationale.

Chez data.gouv ma mission portait déjà sur le référentiel routier et cela avait été très difficile. Le sujet est tellement complexe avec un objet qui concerne des acteurs hyper hétérogènes qui ont une conception très différente de ce qu’est une route, on en est jamais sorti. Du coup quand je vois DiaLog je me dis que quand même, c’est le truc qui peut mettre le pied à l’étrier de la conception de ce Référentiel. Tu as la définition légale de ce qu’est une voie, qui peut permettre d’avoir un référentiel partagé qui donne envie à d’autres acteurs de s’en servir et contribuer.

A l’IGN on a une vision de l’information routière très orientée services d’urgence car aujourd’hui nous participons au grand projet NexSIS avec l’ensemble des SDIS pour avoir un calculateur d’itinéraires fiable.

Aujourd’hui, je pense que ce qui fait défaut à la puissance publique c’est de disposer d’un outil à l’image d’OpenStreetMap qui puisse permettre l’entretien de bases de données collaboratives. C’est la promesse de la Géoplateforme et la Fabrique aura alors pour rôle de fédérer des collectifs pour utiliser cette nouvelle infrastructure !

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