Ouverture(s)

Publié le

Un nombre grandissant d’organisations, publiques ou privées, prennent part à des démarches visant à mettre à disposition de manière libre certaines ressources, qui pourront dès lors évoluer au gré de la créativité et de l’intelligence collective. Que ce soit par principe philosophique, pour se mettre en conformité avec la loi ou dans l’intention d’en retirer des bénéfices, ces ouvertures supposent - pour réellement fonctionner - bien plus que de simplement libérer l’accès des moyens internes. Par Mathieu Fernandez, intrapreneur et Stéphane Schultz, coach produit, Dialog.beta.gouv.fr.

Lorsque l’on parle d’innovation ouverte, la discussion est souvent centrée sur des démarches comme “open data”, “open source”, “hackathon” ou encore “co-design”.

Ces démarches agissent tels des pôles d’attraction pour certains ou au contraire un repoussoir pour d’autres. Au mieux ces derniers imaginent-ils une pause agréable dans leur (vrai) travail, durant laquelle l’organisation va s’efforcer d’avoir l’air innovant vis-à-vis de ses salariés, ses fournisseurs ou ses clients. Ils croisent les doigts en espérant que cela ne va pas leur demander trop de temps et d’énergie, et que le buffet sera correct. Ils sourient peut-être intérieurement en pensant au nombre de fois où leur organisation s’est montrée “fermée”, y compris en interne, en refusant de communiquer des données ou d’affecter des moyens sur un projet qui n’était pas “inventé ici et par nous”.

Ces démarches ont toutes un point commun : l’ouverture. Et l’ouverture ne va pas de soi dans une organisation.

Une métaphore que j’utilise souvent lorsque je présente une démarche d’innovation ouverte en atelier est celle de la location de courte durée de son propre logement. Un rapide sondage préalable montre une écrasante majorité de personnes ayant déjà loué le logement d’une autre personne et une infime minorité gens qui ont déjà loué leur propre logement à des inconnus.

Je demande alors aux premiers d’imaginer qu’ils doivent louer leur logement le week-end suivant à des inconnus, moyennant paiement. Les réticences ne tardent pas à s’exprimer : “je dois cacher des choses d’abord”, “je dois réparer certains équipements”, et même plus rarement “que vont penser les voisins ?”.

Viennent ensuite des questions plus rationnelles : “que se passe-t-il en cas de vol ou de dégradation ?” “comment faire avec les clés ?” “comment facturer le ménage ?” et de conclure parfois “mon logement n’est pas si intéressant que cela” en reportant le projet à plus tard. Vérification faite, la minorité qui avait affirmé louer son logement loue en réalité une chambre de bonne ou un studio meublé inoccupé le reste du temps.

Ces arguments sont grosso modo ceux que vous entendrez de la part des personnes directement concernées par un projet d’ouverture des données, de hackathon ou de toute démarche nécessitant d’ouvrir des ressources à l’extérieur : “Ok pour ouvrir, mais uniquement à des proches ou seulement s’il s’agit de la chambre de bonne. Pas question de laisser des inconnus dormir dans le lit du grand, même s’ils paient”. Ils ne les exprimeront sans doute pas en ces termes car personne n’aime passer pour une organisation fermée ou pire, pour un professionnel fermé.

Lire ici Palmarès des arguments anti open data par Open Data Canvas

En résulteront au mieux des négociations qui conduiront à des démarches souvent hors sol, éloignées des métiers de l’entreprise, et dans lesquelles celle-ci n’ouvrira réellement que son porte-monnaie (et encore).

Restitution du hackathon sur les aires de livraison © DiaLog

Restitution du hackathon sur les aires de livraison © DiaLog

Et si le sujet de l’ouverture de ses ressources n’était pas une question de stratégie a posteriori mais de conception a priori ?

Pour filer la métaphore précédente, si vous passiez plus de temps à concevoir et équiper votre logement pour qu’il puisse être facilement utilisé par d’autres plus tard ? Si vous écriviez dès maintenant le “guide du visiteur”, en indiquant les choses à savoir, les règles à respecter, et aussi comment passer un bon moment dans votre ville ? Si vous équipiez votre logement avec des accessoires standards, robustes et faciles à remplacer ? Des accessoires dont tout le monde connaîtrait déjà le fonctionnement. Si vous commenciez par le louer à des proches, en prenant soin de bien recueillir leurs remarques et observer leurs comportements ?

Cela vous permettrait d’améliorer votre capacité à louer votre logement tout en le rendant plus attractif. Louer ensuite à des inconnus serait une marche nettement moins haute à franchir.

C’est ce que font les organisations qui se conçoivent comme “ouvertes” par design. Elles consacrent d’importants moyens à produire des ressources - outils, données, infrastructures, mais aussi des tutoriaux, kits de développement, interfaces... - pour permettre à d’autres acteurs de prospérer en les réutilisant. Elles privilégient l’utilisation de standards et quand ces standards n’existent pas elles contribuent à en créer et diffuser un nouveau.

Attention il ne s’agit pas là nécessairement de gratuité et d’accès libre. Toutes les ressources ouvertes ne sont pas des communs et toutes les organisations ouvertes ne sont pas à but philanthropique.

Google ou Amazon par exemple fournissent des ressources et places de marché à leurs développeurs ou leurs marchands et en tirent de très substantiels revenus. Leur modèle économique est même construit sur le succès de leurs réutilisateurs. Ces derniers deviennent à la fois le client et le produit, en améliorant l’offre globale de services dans un cercle vertueux. Pensez aux App Stores de Google ou Apple et à la marketplace d’Amazon. À l'inverse, une organisation à but non lucratif peut se comporter de manière rigoureusement “fermée” en concevant et délivrant des services qui ne peuvent ni être modifiés ni réutilisés par ses utilisateurs.

Et pour une collectivité publique ?

Le concept d’État-plateforme a été repris en France par Henri Verdier et Pierre Pezziardi dans leur ouvrage de 2017 “Des startups d’État à l’État-plateforme” (à retrouver dans la liste de ressources ci-dessous). Il reprend schématiquement les principes des plateformes numériques théorisés par l’éditeur Tim O’Reilly en 2010 :

  • Utiliser des standards numériques ouverts plutôt que propriétaires spécifiques
  • Créer un système simple au départ et lui laisser la capacité d’évoluer
  • Concevoir d’emblée le cadre de la participation des utilisateurs
  • Observer et apprendre de ses utilisateurs
  • Créer un cadre pour l’expérimentation
  • Utiliser soi-même les ressources mises à disposition.

Que votre organisation soit publique ou privée, ces principes doivent devenir des choix par défaut, entretenus par une culture de l’ouverture qui prône le droit à l’expérimentation et le droit à l’erreur. Cela n’empêche pas bien évidemment d’y déroger, mais toute dérogation sera dès lors précédée d’un échange sur ses raisons stratégiques, techniques, managériales.

Vous ne savez pas par où commencer ? Vous pouvez déjà lister toutes les ressources internes à votre organisation et vérifier qu’elles sont bien accessibles en interne par défaut à tous vos collaborateurs. Ensuite vous pouvez développer de bonnes pratiques comme la documentation de vos ressources et la possibilité pour tous de contribuer. Les lignes hiérarchiques et les silos managériaux se dissolvent ainsi pour céder la place à des logiques de projets : chacun collabore et contribue selon ses moyens pour l’aboutissement et l’enrichissement d’un projet. Enfin vous pouvez ouvrir tout ou partie de ces démarches à l’externe, en contrôlant toujours les différents niveaux d’accès et de contribution que vous autorisez.

L’ouverture par nature : le projet des start-up d’Etat

Dans le domaine des données de transport, la transition s’opère lentement vers des modèles plus ouverts. La prise de conscience des acteurs à ce sujet s’incarne dans la quasi systématisation des démarches “open data”, projets qui consistent dans leur majorité à exposer des données à l’aide de plateformes numériques.

On peut juger que cette dynamique est encourageante, mais on peut aussi craindre qu’elle ait pour effet de nous coincer au milieu du gué : quel usage pouvons nous faire d’une ressource conçue de manière interne par une organisation, pour répondre à des besoins internes, lorsqu’elle nous est mise à disposition ? La fongibilité de ces données dans un ensemble d’information plus large, leur interopérabilité en langage technique, ne sera possible qu’au prix de fastidieuses corrections et transformations. Une dette que peu d’acteurs seront prêts à payer tant la rentabilité de cet investissement est difficile à entrevoir.

Il est donc naturel de voir apparaître des projets tels que transport.data.gouv, dont le fonctionnement est d’aider les autorités organisatrices des transports (AOM) à franchir la marche suivante de l’ouverture de leurs données : standardiser et assurer la qualité des informations soumises au partage. Cet exemple est intéressant à plusieurs titres, et illustre notamment comment les systèmes ouverts échappent au contrôle de ceux qui les opèrent.

Comme tout Point d’Accès National (“PAN” dans le jargon), la première mission de transport.data était d’ouvrir les données d’offre de transport en commun dans le standard NeTEx. Figure imposée, donc, qui pose son lot de difficultés quand on sait qu’en la matière le standard de référence est le GTFS, un standard américain développé par Google et l’autorité des transports de la ville de Portland.

C’est dans ce contexte que la logique des start-up d’État prend toute son importance. Contrairement à un projet d’ouverture de données qui serait le fruit d’une commande politique dont la visée finale serait la mise en conformité de l’organisation à de nouvelles contraintes réglementaires, les start-up d’État sont pensées dans des logiques d’impact. “Le but final de transport.data c’est de remplir les bus”, pouvait-on ainsi lire dans une interview de l’équipe projet. Une fin qui justifie parfois de s’écarter du cahier des charges initial d’un projet, agilité qui est permise aux start-up d’État.

La page de data.gouv.fr sur le site de beta.gouv © beta.gouv

La page de data.gouv.fr sur le site de beta.gouv

Ouvrir la réglementation de circulation : la longue route

Les difficultés d’accès à la réglementation routière sont quotidiennement responsables d’aléas dont les conséquences s’échelonnent d’un simple timing contrarié à l’accident grave. Sur les plus d’un million de kilomètres de routes qui composent le réseau français, cette problématique est suffisamment prégnante pour pousser les autorités à agir, mais quels sont alors les leviers dont elles disposent ?

L’ensemble des règles, permanentes ou temporaires, qui organisent les circulations étant religieusement consignées par les gestionnaires dans des arrêtés, suffirait-il de rendre ces documents accessibles ? Ce qui serait heureux dans la mesure où la loi oblige à les publier en ligne. Admettons.

Cette conclusion se heurte malheureusement bien vite à une réalité : les arrêtés de circulation ne sont pas faits pour être lus. En tout cas, pas par le commun des mortels, l’information qu’ils comportent étant plutôt destinée aux forces de polices et aux professionnels chargés d’installer la signalisation en conséquence.

Les arrêtés de circulation sont en effet un cas typique d’information “non ouvrable”, qui n’a pas été pensée dans une logique d’ouverture. Leur rédaction n’est que très peu contrainte, on y trouve parfois des tournures vernaculaires ou des références tout à fait locales (“mais oui, vous savez, la section de la rue entre le monument aux morts et le dépôt de bus!”) qui n’auront aucune résonance pour le lecteur lambda. Quel impact, dans ce contexte, pour la publication en ligne de ces documents ?

Comme toutes les start-up d'État, DiaLog ne peut se contenter d’être un outil de plus au service de la dématérialisation. Trouver des solutions au problème suppose d’accompagner davantage nos utilisateurs et toute une catégorie d’acteurs publics. Nous devons les aider à réaliser le “dernier km” de leur démarche d’ouverture de données, en leur permettant de s’approprier les standards tout en garantissant leur qualité. Leur permettre de partager leur logement sans rien perdre en confort et en sécurité.

C’est la mission que nous poursuivons chez DiaLog avec nos partenaires. Rejoignez-nous !

Envie d’aller plus loin dans la compréhension de l’open data et de ses enjeux ?

Merci à Sandrine Mathon, Céline Faivre, Claire Gallic, Jean-Marc Lazard, Simon Chignard, Samuel Goëta, Joël Gombin pour le partage de leurs références utiles :

Les archives d'InternetActu par feu la Fing : lien avec des articles aussi bien sûr :

  • 2006, le mouvement en UK sur "free your data" et "rendez-nous nos données" et les 1ers sujets de crowdsourcing tq. Fixmystreet lien
  • 2007, avec Tim O'Reilly, la Sunlight Foundation ... lien
  • 2008/2009, les prémices des liens tech avec Linked Open Data, le rôle Thomson Reuters et Open Calais ... lien
  • le Ted Talk de Tim Berners Lee lien
  • 2009/2010, Gov as a Platform lien
  • 2011 LiberTic indeed lien
  • 2011 New-York as a platform lien

Également les archives Gov US, sur l'open gov plan avec les V1 de 2010 (l'open data étant un des 3 "moyens" de l'open gov aux US) : lien

Le blog LiberTIC de Claire Gallic : lien

Le blog d’Henri Verdier : lien

Le livre d’Henri Verdier et Pierre Pezziardi - Des startups d’État à l’État plateforme : lien

Les livres de Simon Chignard - Open data et Datanomics : lien

Le nouveau livre de Samuel Goëta : Les données de la démocratie : lien

Le TED talk d’Hans Rosling : lien

Et également un documentaire de la BBC à son sujet : lien

Plan d'action G8 sur l’ouverture des données publiques : lien

La conférence de Sébastopol : lien

Devenez utilisateur DiaLog

Vous travaillez pour une collectivité et souhaitez expérimenter DiaLog ? Vous souhaitez pouvoir utiliser les données DiaLog pour vos besoins opérationnels ou dans un service numérique tiers ? Envoyez-nous un mail et nous vous recontacterons au plus vite.

Contacter l'équipe

Paramètres d'affichage

Choisissez un thème pour personnaliser l’apparence du site.